Résident ou résidant ?

Une grave question trouble certains de nos lecteurs : pour désigner les habitants des foyers ou des résidences sociales, faut-il écrire " résidents " ou "résidants" ?

Dans ses publications, l'Unafo, après consultation des dictionnaires, a pris le parti de qualifier de "résidants" les habitants des foyers ou résidences sociales. Mais certains voient, dans l'adoption de cette orthographe, une fâcheuse propension à transformer, à tort, un participe présent en substantif, donc une faute de grammaire... Cette faute supposée pourrait-elle être avérée ? serait-elle due à une lecture erronée des dictionnaires ? ou bien l'Unafo serait-elle membre de la confrérie de l'Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle) pour jouer avec les mots et faire disparaître des voyelles ?

Au moment de notre choix, nous savions que nous avions contre nous la loi et ses circulaires. En effet, la loi de Solidarité et de Renouvellement Urbains emploie dans son article 194 l'orthographe "résident" pour indiquer que les conseils de concertation sont "composés de (...) représentants des résidents désignés par le comité de résidents du foyer (...)". Dura lex sed lex, certes, mais faut-il suivre les décrets en matière d'orthographe?

Face aux textes de loi et devant le doute exprimé, nous nous sommes de nouveau penchés sur les dictionnaires.

Sur le petit Robert, d'abord, qui a le souci de l'origine et de "l'histoire des mots avec leur étymologie et le cheminement de leur sens, accompagnée des dates d'apparition" : dans son édition 2002, le nom « résident, ente » a quatre sens :
1. Diplomate envoyé par un état auprès d'un gouvernement étranger
2. Haut fonctionnaire placé par l'Etat protecteur auprès du souverain de l'Etat sous protectorat
3. Personne établie dans un autre pays que son pays d'origine
4. Interne de médecine générale, spécialisée ou de chirurgie.

A priori, donc, tout semble clair et les habitants des foyers ou des résidences ne sauraient être appelés " résidents ". Mais, à y regarder de plus près, les choses ne sont pas aussi simples. En effet sous le troisième sens de résident, «personne établie dans un autre pays que son pays d'origine » notre dictionnaire indique qu'en économie, un résident est une personne rattachée durablement à l'économie nationale, quelle que soit sa nationalité et enfin, conclut qu'un résident est une personne qui réside dans un ensemble d'habitation et en donne pour exemple "les résidents d'une cité universitaire". Nous voici confondus : l'usage seul de "résident" serait correct...

Mais, dans la même édition, nous lisons plus avant, au mot "résidant, ante", "adjectif et nom" (c'est nous qui soulignons) - "qui réside (en un lieu)". L'origine en est le verbe résider et le substantif au sens de "habitant" est attesté depuis ... 1415 ! Un exemple est fourni :"Les résidants d'une maison de retraite" (qui, selon nos informations, ne semblaient cependant pas exister en 1415.) Nous voilà sauvés, l'usage de "résidant" est juste!

Nous poursuivons pourtant nos recherches dans le dictionnaire de l'Académie française (1694) et le Littré (1872) où nous constatons que tout se passe comme si deux glissements intervenaient dans la langue : l’un qui élargit le sens originaire du mot résident, l'envoyé du souverain, vers celui de résident étranger, puis vers celui de qui habite. L'autre glissement porte sur la forme de l'adjectif résidant, dont le sens strict est résider quelque part, qui se transforme au fil des années en substantif. Les deux mots sont donc bien proches...

Ambivalence du langage. Emile Benveniste le notait déjà à propos de la racine latine du mot "étranger" "hostis", qui donne en français autant "hostilité" que "hospitalité". Il en va de même pour les termes de résidant et de résident. Ils nous rappellent que la résidence, la demeure en quelque lieu que ce soit, concerne autant l'acte d'habiter durablement que la précarité du résident étranger dans son rapport à la souveraineté.

Résidant et résident. Les deux usages sont donc possibles, mais nous avons opté, confortés à la fois par le petit Robert et le Larousse encyclopédique : à la confusion des sens, nous avons préféré le glissement des formes. En écrivant « résidant » plutôt que « résident », nous voulons désigner toutes les personnes qui habitent les foyers et résidences sociales. Ce choix se porte donc sur l'acte d'habiter, que signifie le mot résidant, et l'emporte, sans le méconnaître, sur le résident étranger et son rapport particulier à l'habitat.

Notre langue est vivante, donc évolutive, elle nous incite à remonter vers le sens des mots que nous recevons en héritage. Les mots, que nous employons, ne doivent-ils pas s'adapter à la réalité et rendre compte du monde ? A l'oublier, ne nous exposerions-nous pas à bien d'autres maux ?